Extraits de Tangor (PhB éd)

AIMANTS

Du fond du tableau, glissée d’une ligne de fuite en diagonale, elle avance, torse en proue vers un corps dont l’espace à distance a bougé à la vitesse invisible d’un songe, visage clos, promis à un abandon qui ne leur appartient pas encore. Fragilités à la merci d’un souffle, leurs vibrantes auras prêtes à voler sans se toucher, les ailes à peine éployées du thorax – humides encore – mesurent d’un frôlement l’étendue de soi. L’air élastique enveloppe les peaux d’un fourreau criblé de vaisseaux d’orage écarlates. En eau trouble ils s’engagent, division cellulaire d’organismes aimantés par la distance qui attire, comètes spasmodiques disparaissant de se mêler à leurs corps défendus. La matière dansée ne se touche pas, dessine sa constellation, la mer dansée ne coule pas, maintient à flots l’esquif, quille en lame de vertige, le désir de danse ne souffre de faner, aspiré par son courant contraire dont la force retient son imminence. Ils sont là, oiseaux à pic dont les rémiges balaient devant eux la piste ; ils se hument, ils s’inventent, ils appréhendent le mirage de corps translucides où flotte l’origine des enfances animales tapies sous un feuillage après les pluies, où flotte une grâce d’oubli quand le ciel est si bas descendu qu’il n’y a plus qu’à cueillir les oiseaux qui tombent pour les relancer dans les nues d’un geste de fière colère. Ils s’aspirent, ils s’inspirent. Ces oiseaux-là savent qu’après qu’ils auront mis en lambeaux leurs ciels d’encre et lacéré leur lumière intime, ils reviendront poser leurs longues pattes lamées d’écailles pour tanguer des figures sans nom qui s’inscrivent en mémoire éphémère jusqu’à ce qu’, éviscéré, le soleil se roule dans sa pourpre
 - tout au fond du tableau, à l’endroit même où les ocres décolorées par le sel des sueurs portent l’empreinte d’un baiser.

Le peintre n’a eu besoin de faire danser son pinceau sur les corps – ils ont pris la tangente, ruisselants d’une improvisation dont la volute précède toute pensée. Il feint ne pas comprendre, tout lui échappe enfin - pour une fois il sourit - chaque main éclose sous ses pistils orphelins, boudés, impuissants.

Il sait que la pression des lèvres efface l’alliance - sortilège de buée.
…par le sel …sueurs ………baiser ……tangente …volute ……échappe ……..pistils …il sait … …….buée …

Les aimants sont des astres contre qui rien ne se peut.

Espagnac Sainte-Eulalie, 25 juillet 2019

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