Alphabête (dessins TF, collages Laure Missir)

Recueil à quatre mains avec l’éditrice Laure Missir (éd. Les deux corps) - 2016

L’alphabête

Il y eut, dit-on, les griffes sur la peau, pour se gratter la surface et mesurer son étendue. C’étaient les premiers chiffres, des incisions sur une peau sans corps encore, à présenter au guichet de l’identité. On les raya d’un trait, au prétexte qu’elles étaient sans ordre ni beauté, que la souillure du sang brouillait les pistes.
Des bêtes alertées se lancèrent sur ces pistes, le front doré par l’aurore, humant si follement cette peau que des bouts se déchirèrent et sur leur ventre vinrent se coller. C’étaient les premières feuilles, comme des pansements ; on y pouvait lire au travers les chiffres de naissance. On ne savait pourtant qui était né ni qui naîtrait.
Quand le soir les bêtes s’endormaient, la lune retournait leur ventre vers son miroir. Alors des ombres curieuses venaient s’y inscrire au hasard de leur maraude ; de leur mufle coulait un filet d’encre où venaient se prendre des myriades de vies en attente.
Pour déchiffrer ce livre qui sommeillait sur la peau décousue de la nuit, il fallut l’Ouvrier de l’Ouïe, monté sur une bête ivre dont les sabots sur la terre dessinaient tout ce que son maître ferait. Il parut ; il colla son oreille sur chaque ventre ; il clama le son de chaque lambeau écrit. L’alphabête était né, partout et nulle part ailleurs.

Tristan Felix, 25 février 2016

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